Dès leur plus jeune âge, les filles et les garçons sont confrontés à des stéréotypes. Loin d’être anodins, ceux-ci conditionnent une partie de leurs rêves, de leurs goûts et de leurs envies, non sans conséquences sur le futur adulte qu’ils et elles deviendront. Nombreux sont les parents aujourd’hui qui souhaitent avoir une éducation égalitaire, en ne faisant aucune différence entre frères et sœurs. Mais est-ce si facile au quotidien ? Peut-on totalement s’émanciper des normes liées au genre de nos enfants ? Comment et quand les sensibiliser à l’égalité ? On fait le point avec Margaux Collet, formatrice en égalité femmes/hommes et autrice.
À partir de quel âge on peut commencer à sensibiliser ses enfants à l’égalité filles/garçons ?
En tant que parent ou futur parent, il faut commencer à s’interroger sur ces questions avant même la naissance de l’enfant ! On sait que l’entourage des parents va déjà avoir des projections, des attentes différentes à partir du moment où l’on connaît la réponse à la question : « c’est une fille ou un garçon ? ».
Une fois que le bébé est né, les études ont montré qu’on interprète différemment les pleurs. Quand un bébé fille pleure, les parents vont se dire qu’elle a peur, alors que les pleurs d’un bébé garçon seraient dûs à la colère. Donc c’est une déconstruction, une analyse, à faire avant l’arrivée du bébé et tout au long de son éducation.
Aujourd’hui en France on éduque donc différemment les filles et les garçons ?
Oui. On sait par exemple qu’à l’école, les enseignants, sans même en avoir conscience, vont avoir tendance à interagir plus et différemment avec les garçons qu’avec les filles. Ils vont en général interroger les filles pour rappeler les acquis, et donc leur faire jouer leur rôle de bonnes élèves. Au contraire, ils vont davantage solliciter les garçons sur l’acquisition de nouvelles compétences, de nouveaux sujets, pour apporter une réflexion sur une thématique encore non abordée en classe.
Il y a cette idée qu’il faut canaliser l’énergie ou le manque de discipline des garçons, alors qu’en miroir, les filles n’auraient pas besoin d’être stimulées plus que ça. Cette différence s’observe à l’école, mais aussi dans les structures de sport, de loisirs et à la maison.
Dès la petite enfance, on projette nos représentations d’adultes sur les traits de personnalités d’enfants. Les qualités associées aux filles et aux garçons ne sont pas seulement différentes, elles sont aussi plus ou moins valorisées en fonction du sexe : aux filles, la douceur, la coquetterie, le fait d’être têtue, boudeuse, etc. Aux garçons, on attribue plus souvent le fait de savoir ce qu’ils veulent, d’être fiers, costauds, rusés, drôles.
Quelles seront les conséquences sur leurs vies personnelles et professionnelles ?
Des parents, même s’ils se disent ouverts sur la question de l’égalité, peuvent avoir des comportements différents avec leurs filles et leurs garçons. C’est par exemple le cas quand il s’agit des jouets. Les jouets, tout comme les contes ou l’habillement, vont différencier les filles et les garçons, en destinant par exemple le rose aux filles et le bleu aux garçons.
On pourrait se demander : « Est-ce un problème si les filles et les garçons ne jouent pas à la même chose ? »
L’essentiel des jouets disponibles dans les rayons filles sont des jouets d’imitation. On va avoir des serpillières ou des dînettes, mais aussi toute une panoplie de jouets centrés sur leur apparence : coiffeuse, mannequin à habiller, machine à bijoux, etc. Or, on sait que les filles et les femmes ont une image bien plus souvent dégradée d’elles-mêmes que les hommes, et qu’elles savent ou pensent que la société accorde une importance démesurée à leur apparence plus qu’à leur intellect.
Du côté des garçons, les jouets sont beaucoup plus basés sur l’éveil scientifique, la construction d’objets. Ces jouets vont stimuler leur capacité créative et leur éveil. On trouve aussi beaucoup de jouets qui sont tournés vers l’extérieur, qui stimulent leurs déplacements et leur appropriation de l’espace public : les ballons de foot par exemple. Dans les jouets d’imitation, on trouve des établis, par exemple, mais aucune poupée. On considère déjà que c’est aux filles de s’occuper des bébés.
Ça peut paraître anodin mais quand on le met en lien avec la répartition des tâches ménagères et familiales, encore aujourd’hui effectuées à 75% par les femmes, on y voit forcément une relation de cause à effet. Même chose pour l’orientation professionnelle : une fille qui a toujours vu les jouets scientifiques offerts à son petit frère aura plus de mal à se projeter comme une scientifique ou une footballeuse professionnelle.
Que peut-on faire, en famille, pour combattre ces inégalités?
Dans la vie quotidienne, vous pouvez être attentifs à ne pas toujours réserver les mêmes tâches aux garçons et aux filles et à ce que chacun y participe de manière égalitaire. Et peut-être, et c’est souvent le plus difficile, donner le bon exemple en appliquant cette même règle en tant que parents.
Veillez également à ne pas systématiquement valoriser la force et le courage des garçons avec des remarques du type « un vrai petit homme » ou « qu’est-ce que tu es costaud ». Même chose concernant l’apparence des filles : des compliments répétés peuvent parfois se convertir en injonctions, c’est-à-dire en obligation, pour les filles, d’être belles, douces ou gentilles.
En tant qu’adulte, nous avons aussi la fâcheuse tendance à romantiser les relations filles-garçons, à y voir très vite des « petits couples », y compris chez de très jeunes enfants. Éviter les questions réflexes du type « alors, c’est ton amoureuse ? », c’est permettre aux enfants et aux ados d’envisager plus facilement des amitiés mixtes.
Vous avez aussi un rôle à jouer pour encourager vos enfants à se sentir libres de faire ce qu’ils souhaitent en terme de sport, d’orientation scolaire, d’orientation sexuelle, d’habillement, et ce quel que soit leur sexe. Vous pouvez aussi les rassurer dans leurs choix, une fois qu’ils et elles les ont pris. Ils se sentiront plus libres et épanouis et pourront affronter les éventuelles critiques du monde qui les entoure.
Sur quels outils s’appuyer au quotidien ?
En tant que parents, il peut parfois vous sembler compliqué d’aller à l’encontre de tout ce que nous donnent à voir les publicités, les films, ou les jouets. Mais vous pouvez aussi vous appuyer sur ces éléments pour encourager vos enfants à avoir un regard critique.
Vous pouvez par exemple les aider à s’interroger sur la place des filles et des garçons dans les images et histoires qu’on leur raconte. Le test Bechdel-Wallace, par exemple, permet de mesurer la place accordée aux rôles des femmes dans un scénario. Après avoir regardé un film ou lu une histoire avec vos enfants, encouragez-les à se poser trois questions : « Est-ce qu’il y a au moins deux femmes dont on connaît le prénom ? Est-ce qu’elles se parlent entre elles ? Est-ce qu’elles parlent d’autre chose que d’un homme ou d’un garçon ? ». La plupart des sagas, comme Harry Potter ou Le Seigneur des anneaux, ne passent pas ce test. Les filles et les femmes des histoires restent encore trop souvent dans des rôles secondaires dans l’intrigue.
Peut-on réellement parvenir à une éducation parfaitement égalitaire en famille ?
Il peut être difficile de concilier son envie d’éduquer de manière égalitaire et la parentalité. Chacun va à son rythme ! L’important c’est que votre enfant puisse se tourner vers ses parents en toute confiance. Ne plaquez pas non plus vos envies et vos convictions autour de l’anti-sexisme et de la lutte contre les stéréotypes sur les envies de vos enfants. Si votre fille veut absolument du rose, évidemment, ne l’en empêchez pas !
Enfin, il est parfois plus facile de laisser les personnels d’éducation et les associations spécialisées aborder ces problématiques. Vous pouvez – en tant que parent d’élève – encourager l’établissement scolaire de vos enfants à organiser des cinés-débats, des activités ou des interventions en classe sur ce sujet.
Margaux Collet est autrice et formatrice à l’égalité entre les femmes et les hommes. Elle intervient régulièrement auprès d’enfants et d’adolescents pour les sensibiliser à l’égalité.
Les ressources pour parler d’égalité filles/garçons avec vos enfants :
À lire :
« Beyoncé est-elle féministe ? Et autres questions pour comprendre le féminisme », Margaux Collet et Raphaëlle Rémy-Leleu, éditions First.
« Tu seras un homme féministe mon fils », Aurélia Blanc, éditions Marabout.
« Chère Ijeawele, ou un manifeste pour une éducation féministe », Chimamanda Ngozi Adichie, éditions Gallimard.
À découvrir :
Des vidéos pour susciter la discussion avec vos enfants sur l’égalité entre les filles et les garçons.
Les dépliants non sexistes d’une Maman pour répondre aux questions de son fils autour de ce qui est « pour les filles » et « pour les garçons ».
Les affiches contre les stéréotypes sur les filles et sur les garçons, à télécharger, imprimer et afficher à la maison.
Le guide « Je ne suis pas féministe, mais… » qui déconstruit les idées reçues sur le féminisme.
La vidéo ludique des petits citoyens « Et si on s’parlait de l’égalité filles-garçons ? » pour lancer le débat autour de cette thématique.
Le jeu des petits citoyens « Tous pareils tous uniques » pour questionner les enfants sur l’égalité dans les métiers et les tâches ménagères.